Rouge comme Pentecôte, Rouge comme feu de l’Esprit, Rouge comme confirmation du baptême. C’est le moment de rester en alerte,en alerte d’Espérance.
Les circonstances nous ont imposé et offert une longue retraite, des occasions heureuses ou douloureuses pour approfondir la prière, pour gagner en intériorité, alimenter notre attachement à Jésus. Pour le dire comme l’Apocalypse, nous avons davantage ouvert notre porte à celui qui dit : « Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi. » (Ap 3, 20).
Ces journées d’accueil ont pu faire grandir l’ouverture de notre maison et de notre amitié à Celui que la quatrième préface de la prière eucharistique pour les circonstances particulières appelle notre Seigneur et notre Frère. Cet approfondissement du lien pourra être ressaisi dans ce temps du « Cénacle », entre Ascension et Pentecôte. Avec Marie et les disciples. Nous restons plus que jamais en état d’alerte, car viendra sûrement un autre temps, celui où c’est le Seigneur qui va ouvrir pour nous des portes de mission, des portes inédites.
Bien sûr un temps liturgique ne remplace pas un autre dont la note particulière deviendrait, tout d’un coup, périmée. C’est vrai de tous les dons de la grâce divine : ils ne sont pas comme les biens matériels, qu’on reçoit parce qu’on ne les avait pas, puis qu’on perd quand on les donne. Non, nous pouvons accueillir Dieu parce que Dieu est déjà en nous, recevoir les dons de Dieu parce qu’ils sont déjà là. C’est parce que Dieu a soufflé son Esprit en nous, faisant de nous des êtres vivants, que nous pouvons recevoir le Saint Esprit. Nous devenons enfants de Dieu par le baptême parce que nous le sommes en quelque manière, nous devenons couple par le mariage parce que nous sommes déjà couple en quelque manière (sinon ne vous mariez pas !). Le Nouveau Testament ne périme pas l’Ancien, les chrétiens ne remplacent pas les juifs comme peuple de Dieu. Le temps pascal, propice à se laisser porter par la grâce, n’annule pas les efforts du Carême, il leur donne épanouissement et grâce. Le temps de Pentecôte, dit « ordinaire », ne vient pas périmer le temps du Cénacle : le combat spirituel est toujours à mener pour garder notre porte au moins entrouverte à Jésus.
Mais dans sa nouveauté bouleversante, ce temps nous saisit et nous tourne vers une nouveauté extrême : dans l’irruption du temps de Pentecôte, c’est Lui, Jésus, qui par l’Esprit nous ouvrira des portes vers autrui ! Comme pour les Apôtres et Marie au Cénacle : ils priaient de manière intense et plus qu’intense, dans la mémoire de l’inouï qui avait été vécu avec le Seigneur dans sa Résurrection jusqu’à son entrée dans la Plénitude du Ciel. Pourtant, aucun de ceux qui y étaient réunis dans la prière, dans l’attente de « ce qui avait été promis », n’aurait su imaginer le big bang de la Pentecôte, l’accélération de la mission racontée dans le scénario de l’ouverture aux peuples du monde quelques jours plus tard. Ils n’ont rien déclenché, projeté, prévu, ils ont laissé germer en eux le bon grain de l’expérience spirituelle, la connaissance intime de la proximité de Dieu proposée à tous les hommes, la connaissance intense du Lien avec le Père qui est la divinité de Jésus.
Quelques jours plus tard, l’Esprit trouvera en eux des mots anciens et nouveaux, qu’ils ne connaissaient même pas et qui pourtant sortent d’eux, des mots que d’autres pourront comprendre (miracle !), des mots pour dire passionnément cette proximité du Père.
Être en alerte, disponible aux portes que le Seigneur ouvrira en nous vers les autres – ces autres que peut-être nous ne voyions pas, que le confinement nous a peut-être amenés à découvrir, parce que jusque-là leur vie ne nous intéressait pas assez réellement. Et voici que soudain une possibilité de rencontre va surgir, des mots vont faire sens et lien, ils vont parler une langue qui est à la fois la langue de ma vie et la langue de la vie l’autre, l’Église va se faire dialogue vers les frères que le Seigneur rêve de nous présenter.
Pour demeurer en alerte rouge, il y aura quelques pièges à déjouer. L’adversaire intérieur s’y entend pour nous balader entre rêve et découragement. Si nous rêvons trop superficiellement que le monde d’après sera différent du monde d’avant, la déception nous guette, la tentation de se dire « Tout ça pour ça ! ». Mais si nous ne rêvons pas, si nous n’attendons rien, c’est pire. François de Sales nous avertit : « là où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie ». Les caractères des uns et des autres ne changent pas beaucoup… pourtant, Dieu a semé, Dieu sait comment nous travailler et nous rendre comestibles, si nous voulons bien y croire, cultiver l’espérance plutôt que rêvasser.
Cela vaut pour tous les secteurs de notre vie personnelle et communautaire, et cela vaut pour la société en général, pour notre être citoyen. Les paroles de Jésus nous éclairent sur la tentation d’être commentateurs – soupçonneurs : « nous avons joué de la flûte et vous n’avez pas dansé, nous avons chanté des chants funèbres et vous n’avez pas pleuré » (Luc 7, 32). Vous faites des forums sur la conversion écologique de l’économie mais vous êtes trop peu sensible aux galères de celui qui a besoin que sa boite redémarre à l’identique pour toucher son salaire très vite – à l’inverse, vous dites, dans l’urgence il n’y a pas d’autre possibilité que de revenir à ce qu’on faisait avant, mais la prochaine catastrophe climato-bourso-épidémique, ça vous est égal qu’elle soit déjà dans les tuyaux.
Nous le savons, l’Espérance n’est pas faite de l’alternance des pronostics optimistes ou pessimistes, du goût de commenter l’action ou de croiser des soupçons répétés à l’infini. Elle est une Foi en Dieu qui fait bouger les lignes, qui ne dort pas et sème des possibilités nouvelles mais encore cachées, un travail pour ne pas se laisser obséder par ses défauts ou ceux des autres, lutter contre « à quoi bon » en maintenant une confiance, tirer les leçons concrètes de ce que nous avons appris.
Compter sur l’Esprit, dans tous les domaines, accueillir les portes qui s’ouvrent, qu’Il nous ouvre, recueillir les fruits de nos découvertes récentes : chacun sa liste de semences, je vous propose en vrac : désir d’utiliser les réseaux sociaux pour d’autres manières de travailler, de communiquer des contenus nourrissants pour la foi, nouvelles organisations pour que les non-connectés ne soient pas oubliés, mise en oeuvre de nouveaux circuits courts d’approvisionnement, désir de prise en charge responsable de sa santé, développement des remèdes locaux, découvertes de l’importance de certains métiers mal considérés, réflexion relancée sur le classement en biens communs de l’humanité de certains produits médicaux ou vaccins, etc… Face aux faillites annoncées, quelles nouvelles activités pourront naître, comment les soutenir ? Quelles possibilités concrètes, applicables rapidement, pourrons-nous favoriser, pour un renouvellement de la société, de l’économie, de l’Église, chacun à partir de son petit bout de pouvoir, mais avec confiance en Dieu ?
Alerte rouge, restons aux aguets : le Fils va certainement nous ouvrir des portes, de tous ordres, et l’Esprit, notre Espérance chaleureuse, ouvrira de nouvelles possibilités de communication de la Foi qui nous habite, comme le Père voudra.
Père Dominique Doyhénart, curé
Le journal des trois paroisses du mois de juin.
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