Emmaüs…

Bizarre. Je relis l’édito du mois dernier, rien à en retirer : mélange d’inquiétude et de créativité, d’incertitude et d’approfondissement. Tout semble d’actualité, mais accentué.


Inquiétude : au fil des nouvelles, nous mesurons mieux l’ampleur de l’épidémie : la situation dans les EHPAD que nous ne pouvons plus visiter, les familles traumatisées par l’isolement et partagées entre admiration et colère, les employés des pompes funèbres, éprouvés de devoir rejoindre la file d’attente des véhicules des confrères venus récupérer « leur » cercueil parmi les dizaines alignés dans le hangar réfrigéré de Rungis, souvent très
touchés par la peine des familles, mais très présents, proposant des solutions techniques pour vivre les prières en lien vidéo avec les enfants coincés loin – les décès plus  proches, pour ceux que je connais, ces derniers jours, Jean-Pierre Samaran, Jean-Claude Triomphe, Rémy Jointré le mari de maman Julie, ami du père Simon-Pierre… d’autres vont mieux, sont sortis de l’hôpital, d’autres soignés-secoués chez eux émergent, Rachelle, Isabelle (courage Anaïs), …

Surtout, il y a tous ceux dont nous n’avons pas de nouvelles. C’est le lot souvent des prêtres, la frustration d’avoir devant eux des morceaux d’assemblées avec des visages familiers, de multiples liens par le regard, mais pas forcément les noms et les histoires qui vont avec, et l’inquiétude : sont-ils tous en lien réel avec quelqu’un ? D’où le récent courrier « appel à relais », le travail entrepris pour compléter nos listes de coordonnées –
mais les meilleurs dispositifs du monde ne remplaceront jamais cette petite chose, comment la nommer, ce petit climat d’amour simple qui fait qu’imperceptiblement quelqu’un pourrait avoir envie de se confier à un frère sans crainte. Pas si simple : dix-sept personnes ont indiqué leur disponibilité pour des faire des visites ou des courses, mais zéro demande. Malgré tout, continuons le combat, enrichissons les listes et fichiers, ça
servira toujours dans la suite…

Inquiétude, mais créativité, toujours. les groupes de partage de nouvelles pullulent sur les réseaux sociaux (pour ce qui est de plus actifs dans mon entourage, équipes d’ACO de Bagneux et d’Antony, aumônerie, ste-Bathilde, bénévoles de l’accueil de jour « la Pause » pour se donner des nouvelles des ex-accueillis, etc…). Mention au Skype-apéro de cage d’escalier de Jean-Pierre, et aux initiatives cousines. Ceux des plus jeunes qui sont du bon
côté de la fracture numérique savent à la fois profiter des contenus
vidéo proposés sur divers sites ecclésiaux, jouer à fond les groupes
WhatsApp d’aumônerie, inventer leurs propres manières de vivre sa
foi de jeune chez soi au temps du confinement (cf. image du travail
actuel des 4°/ 3°). Le service diocésain de la catéchèse fournit des
moyens faciles à utiliser en famille pour rester connecté. Petit à petit,
nous nous mettons quand c’est possible aux web-réunions via divers
logiciels, le travail réalisé par Romuald en particulier pour le triduum
pascal ouvre des perspectives.

Derrière ces web-liens, nous savons bien qu’il y a aussi beaucoup de difficultés, il faut apprendre à vivre ensemble dans un espace réduit, à partager quand c’est possible un ordinateur familial entre télétravail des uns, continuité pédagogique des autres, … un jour il faudra s’aider à relire tout cela : comment nous sommes-nous aimés ? Nombreux sont ceux qui deviennent couturiers de masques (merci à ceux qu’on nous a offerts) ou de surblouses (qui manquent cruellement dans l’EHPAD où Claire est médecin gériatre), mais c’est souvent pour répondre à des situations réellement compliquées : achat d’ordinateurs pour des familles du Bol d’Air en grand besoin, témoignage de difficultés et de risque de décrochage pour des jeunes des Blagis accompagnés via le soutien scolaire désormais vécu à distance, participation à la plateforme téléphonique de la Croix-Rouge ou à la distribution de chèques-Service du Secours Catholique, actions de voisinage… Chacun s’active dans ses domaines habituels de solidarité pour éviter que covid, s’il dure, n’aggrave des situations locales (nos proches
travaillant par exemple dans la restauration) ou plus lointaines : Gaza, commerce équitable, partenaires du CCFD…

Après ces quelques échos de ce qui circule sur les recherches et les engagements des uns et des autres, une vraie difficulté pour nous,  l’incertitude sur le déconfinement. Il est difficile de décider si on doit déprogrammer (ou si on peut espérer maintenir) des événements (communion, baptêmes, mariages, professions de foi, reprise du KT ou de groupes), et donc chaque groupe de responsables d’activités cherche la bonne manière de communiquer avec les familles (qui manifestent vraiment de la compréhension, jusqu’ici) – sur ce qui peut, ou ne pas -être déjà décidé. Nous attendons, suite aux prochaines annonces concernant le déconfinement, les négociations entre les évêques et les préfets, qui permettront au diocèse de nous préciser quelles seront nos marges de manoeuvre à venir au fil des étapes du déconfinement. En attendant, nous réfléchissons en envisageant toutes les hypothèses possibles, mais en évitant de nous épuiser au jeu des pronostics. Nous ne pouvons pas
préparer plusieurs programmes, mais nous pouvons nous disposer intérieurement à la souplesse et à la réactivité. Soyez toujours prêt et en tenue de service, car vous ne savez pas à quelle heure le déconfinement viendra, si je puis me permettre ce détournement de verset.

Je termine cette trop longue chronique avec le quatrième mot,  approfondissement. Comment, dans la durée, creuser jusqu’aux sources de notre foi, comment à défaut de vivre déjà la communion
eucharistique, en creuser le désir et redécouvrir le sens ? Précédemment, je vous suggérais de faire mémoire de vos expériences déjà vécues de la communion eucharistique, et de croire qu’est réel et actuel, au présent, l’acte par lequel le Christ est alors venu S’installer chez vous dans votre corps, et en même temps vous installer dans Son corps qui est l’Église – comment vivre aujourd’hui un sacrement reçu hier… ce qui évidemment ne remplace pas le rassemblement des frères. Aujourd’hui, c’est aussi un voyage que je vous propose comme exercice spirituel : asseyez-vous, chez vous, à votre table de l’auberge d’Emmaüs, avec tous vos paquets de déceptions et d’espoirs encore vivants, le cœur brûlant accueillez celui qui vient s‘asseoir, vous rejoindre, puis disparaître en vous laissant la
Joie. Il vient pour nous, aujourd’hui. Il nous relie à Lui et entre nous.

« Et nous saurons que ce lien qui se joue de l’espace, se joue aussi du temps ; que ce lien passe la mort. Et ce lien entre nous qui unit ce côté-ci et l’autre de la rue, ce côté-ci et l’autre de la mort, ce côté-ci et l’autre de la vie, nous l’appellerons DIEU. » (extrait de « Et tout s’est arrêté », Pierre Alain LEJEUNE, prêtre à Bordeaux, mars 2020).

Père Dominique Doyhénart, curé

Le Journal des 3 Paroisses (J3P) du mois de mai.