Le mot du curé (1er Juillet) : N’oubliez pas d’aller voter

Vous avez reconnu la phrase traditionnelle du curé les jours d’élection. Le week-end où paraît ce journal, que d’événements majeurs, à plusieurs échelles.

Au plus près de nous, lors de la traditionnelle fête de l’Amitié à Sainte-Thérèse, cinq jeunes de l’aumônerie, Britney, Calista, Manon, Shelby et Sofiane, seront baptisés, puis Anahya, Ange, Hugo, Nathan et Noah commenceront à communier, et Anahya, Alexis, Ashley, Evan, Hugo, Kymira, Paola, feront profession publique de leur foi.

Pour chacun d’entre eux et pour nous tous, grande joie !

A cette fête, certains d’entre nous vont devoir faire un sacré exercice pour tenir leurs engagements dans l’organisation, tout en donnant les coups de main nécessaires dans les bureaux de vote car vu les délais de préparation et les vacances ou absences non décalables, on ose à peine imaginer la pression sur les militants qui auront avoué être à Châtenay ce week-end là !

Merci à eux de faire l’un et l’autre, il faudra beaucoup les remercier.

Les autre temps paroissiaux de fin d’année ont échappé à ce défi : le 23 à Sainte-Bathilde avec l’assemblée paroissiale suivie de la messe et d’un repas partagé, le dimanche 24 à Saint-Germain avec une messe festive suivie d’un repas partagé, d’un temps de relecture de l’année et d’ateliers ludiques. Un équilibre agréable a été trouvé entre l’échange sur l’année écoulée et les projets, et la convivialité qui donne du temps pour se parler paisiblement.

Ne boudons pas notre chance de profiter de cette paix, mais partout dans le monde et en particulier dans des pays ou plusieurs d’entre nous ont des liens forts, les guerres continuent.

S’agit-il de guerre ? Question qu’une d’entre nous posait, alors que nous cherchions des mots pour partager notre ressenti, au groupe d’amitié islamo-chrétien, sur le drame de Gaza : quand voulant détruire son ennemi caché dans un sous-sol, un belligérant envoie des bombes qui traversent au passage une couche de population civile désarmée qui ne peut pas être ailleurs que là, de quoi s’agit-il ? Où sont les limites que Dieu met à la sauvagerie et à la destruction, dirait le livre de Job du 12e dimanche ?

Les textes de l’Écriture de ces semaines nous aident bien à prendre du recul. Loin de moi l’idée de vous encourager à seulement prendre du recul, le temps est aussi à l’engagement, mais pour s’engager correctement, le recul ne nuit pas. Les paraboles du Royaume, avec leurs images de croissance de la graine jusqu’à l’épi, nous apprennent à distinguer ce qui n’a pas encore été semé mais doit l’être, ce qui a été semé mais ne se voit ni ne s’imagine déjà, ce qui sort de terre mais de manière emmêlée (l’ivraie et le bon grain poussant ensemble), et puis l’épi déjà mûr qu’il vaut mieux savoir reconnaître pour décider si on le mange ou si on le rejette.

Je voudrais relire ces évangiles en les croisant avec les réflexions d’Olivier Abel, philosophe et protestant, disciple de Paul Ricoeur, dans une interview presque à chaud dans la Croix du week-end suivant les élections européennes (les citations entre guillemets sont de lui, le reste de moi et il n’y est pour rien). Pourquoi s’étonner de cette vague cent fois observée, fruit d’une croissance continue? Les semences, on peut en nommer certaines: «Levote RN rassemble les voix de ceux qui disent cumuler les difficultés, qui vivent dans des territoires excentrés. Il faut aussi, selon moi, y voir un besoin de clôture. L’impératif universel d’ouverture – du marché, des droits, des libertés, etc. – se fait au détriment de ce besoin de clôture… Le sentiment diffus qu’il n’y a plus de frontière, que tout est décloisonné, que tout se mélange aboutit, in fine, à un besoin très fort de protection… Nous avons trop privilégié le thème de l’émancipation…. Il faudrait aujourd’hui absolument revaloriser la fidélité, les liens, les attachements, les solidarités…. Une fois rompus les liens de servitude, il s’agit de retrouver des liens qui libèrent…»

L’aspiration à une fraternité protectrice se comprend, mais là encore (ivraie et bon grain), elle sort de terre sous deux versions difficiles à discerner: «la question de la justice est balayée au profit d’une société de l’affection… Or, l’amour se transforme facilement en haine… On retrouve là ce désir d’unanimité si propre à la France… Notre société se veut unanime, comme si elle n’avait qu’une seule religion. Or, pour cela, il faut qu’elle éjecte….. Si la France avait suffisamment confiance dans ses traditions, notamment dans la tradition catholique, si elle avait confiance en elle, dans sa capacité à continuer à inventer, elle n’aurait pas peur de quelques centaines de milliers d’étrangers. Au fond, nous sommes devenus très fragiles culturellement…. On a discrédité toutes nos traditions pour ne considérer que les individus isolés. Le résultat, c’est que ce qui est commun est devenu un « super-marché». Mais cela ne suffit pas ; pour vivre ensemble, nous avons besoin d’un projet, d’un récit, qui manquent cruellement aujourd’hui…. L’erreur a été déconstruire l’Europe sur un vide. Il lui manque un sol, d’où le vertige qui la saisit aujourd’hui. Nous devons reconsidérer nos traditions, qui sont plurielles : le catholicisme et les Lumières, le romantisme et le socialisme, la Renaissance et la Réforme, Rome et la Grèce, le judaïsme et la tradition arabe… Il n’y a pas d’identité sans une conversation entre ces traditions. Ces traditions sont enchevêtrées, elles se doivent beaucoup. Elles doivent dialoguer et se corriger mutuellement….». Pour une fraternité qui ne soit pas fondée sur l’exclusion, «ce qui manque, aujourd’hui, c’est … la morale républicaine de la IIIe République – dans laquelle, comme disait Bernanos, on ne fait pas de différence entre soi et l’autre, on se traite soi-même comme n’importe quel autre. Il écrit cela dans Le Journal d’un curé de campagne et Ricoeur le reprend dans Soi-même comme un autre. C’est le contraire de la société affectueuse, l’opposé de la société des affects que Marine Le Pen appelle de ses vœux… Aujourd’hui, on a besoin de remettre du respect et de la distance dans nos relations. On a besoin aussi de retrouver l’anonymat du visage de Christ. Toute personne peut être le Christ, qui me demande de me faire le prochain de l’homme tombé à terre… Je crois, justement, que la charité à laquelle nous appelle le Christ est une charité anonyme. Ce n’est pas une charité dans laquelle j’ai mes pauvres, ni une charité de tribu. C’est une charité qui est à la fois infiniment singulière et infiniment universelle. Le RN voudrait, lui, que la France soit de la même famille. Avec, en creux, une perspective endogamique évidente. Reprenons donc cette prédication de la charité, et reprenons-la à partir du texte de l’Évangile, et non pas dans ce dévoiement d’une charité entre soi…»

Mais souvent ce qui a été semé va au bout de son chemin, et «L’intelligence reste extrêmement faible face à la xénophobie, qui, elle, sort des tripes.» On peut et doit affirmer des convictions, mais cela est loin de suffire. D’expérience, nous savons que si des contre-vérités ont été semées dans les têtes et subtilement répétées via les nouveaux médias, il est probable que ce qui a été semé finit par donner son fruit amer. La question est moins de déraciner que de semer autre chose, au moins le doute: «Pour contrer les xénophobes, il faut compliquer leur tâche … Parce que si leur vision semble très claire de loin, elle est beaucoup plus floue lorsqu’on s’approche. En effet, … ils ont tous dans leurs familles des couples mixtes, des situations plus complexes que leurs discours officiels … » Pour semer, il faut se parler avec chaleur, distinguer les terrains, ceux (trop tard) où le fruit amer est déjà là, ceux où des semailles sont encore possibles…

Je ne voudrais pas terminer ce trop long éditorial sans vous partager une bonne nouvelle: le vendredi 22 juin, à l’Institut Catholique de Paris, nous étions quelques Châtenaisiens à soutenir le Père Nirhy, qui a lui-même brillamment soutenu sa thèse en Sciences de l’Éducation sur les partenariats autour de l’école en vue de la réussite des enfants à Madagascar. L’échange entre le doctorant et les membres du jury a été intéressant à suivre, nous permettant d’entrevoir comment les analyses théoriques poussées sur les formes de partenariat pouvaient aider à imaginer des partenariats concrets entre les parents et l‘institution scolaire. Bref, donc, c’est «docteur Nirhy», mais appelez-le «Nirhy tout simplement».

Père Dominique Doyhénart, curé