Edito : Les nouveaux experts

Dimanche, sortie de messe, un paroissien m’attend pour débattre sur une position qu’il a cru m’entendre tenir concernant la connexion entre travail et revenu d’existence, et conclut en blaguant à moitié : la prochaine fois il faudra enfiler votre gilet jaune avant de prêcher.

Autre dimanche, un paroissien me fait remarquer : on ne voit pas beaucoup de conseillers spirituels présents sur les barrages, c’est dommage. Je lui dis, c’est difficile de se situer, avec ces intérêts hétéroclites… Il me répond, on dit toujours ça pour botter en touche, mais si les lieux de palabres et de dialogues citoyens étaient effectifs localement, dans chaque département, ce sont les débatteurs eux-mêmes qui prendraient la mesure de leurs divergences éventuelles, avant que ça ne devienne autre chose.

Si on voulait oublier l’actualité, la lecture pendant l’Avent de prophètes porteurs d’une vision politique de l’avenir promis par Dieu, tels Isaïe, nous en empêcherait !

Certes, comparaison n’est pas raison, et les prophètes ne sont pas des experts prêts à fournir pour aujourd’hui des solutions toutes faites. Mais leur fréquentation nous éclaire : ils mettent en lumière comment le repli de chacun sur son propre intérêt économique, l’indifférence à la souffrance des plus pauvres, voire leur exploitation dans le mépris de la justice la plus élémentaire, fragilisent le peuple d’Israël dans son Alliance avec Dieu, et finalement dans son existence. Pas de sortie des impasses sans profonde remise en question de tous et sans retour à ce qui fonde le désir de vivre ensemble, l’Alliance..

Dans une société laïque et multireligieuse, l’Alliance ne peut être la source du renouvellement du contrat social. Mais l’Alliance nous fait partager l’Amour de Dieu pour cette société-là qui se cherche, sa passion pour chacune de ses créatures, l’espoir de commencer à vivre avec tous, dès aujourd’hui, quelque chose de la Communion des hommes entre eux et avec Dieu que la foi désigne comme horizon universel.

En 2016, le texte des évêques (« dans un monde qui change, retrouver le sens du politique ») appelait les cathos à réfléchir au « contrat social » : « Ces cinquante dernières années, notre pays a énormément changé : économiquement, culturellement, socialement, religieusement… Il a connu en un laps de temps très court une profonde mutation qui n’est pas encore terminée. Les évolutions et les transformations ont créé de l’incertitude dans la société. Les références et les modalités de la vie ensemble ont bougé. Ce qui semblait enraciné et stable est devenu relatif et mouvant. Plus largement, c’est le monde tout entier qui a connu de très grands changements, et notre pays, dans l’Europe, donne le sentiment d’avoir du mal à se retrouver sur une vision partagée de l’avenir et ainsi imaginer son futur… Plus que jamais, nous sentons que le vivre ensemble est fragilisé, fracturé, attaqué.

Ce qui fonde la vie en société est remis en cause. »

Mais au-delà de cet appel à la réflexion politique, notre Église doit être aussi présente sur le front de la solidarité et de la compassion. Elle est souvent pas trop mal organisée pour offrir à ceux qui ont déjà plongé dans la grande misère des espaces de respiration, voire de secours, des bols d’air. L’exercice de cette solidarité nous conduit souvent à creuser plus profond, chercher les causes, nous engager y compris sur la dimension politique. Mais parfois cette réflexion et ces engagements sont moins visibles quand il s’agit de ceux qui sont « seulement » au bord de l’effondrement, travailleurs pauvres, là où les réponses sont davantage politiques, et où la vivacité des désaccords pourrait mettre à mal notre précieuse communion interne. L’Église préfère renvoyer chacun à ses analyses et à ses choix, tout en rappelant des principes (dignité égale de chaque être humain, destination universelle des biens…)

Aujourd’hui il y a à trouver comment être plus présents aux uns et/ou aux autres, sans s’énerver mais avec chaleur et espérance..

Père Dominique Doyhénart, curé