Édito – Reconnaissance

Enfin le carême ! Le temps du combat spirituel, de se concentrer pour déjouer un à un les pièges de l’ennemi, celui qui te suggère sans cesse des pensées à te dégoûter de la vie, de toi-même, des autres et de Dieu. Tomber, se relever, retomber, se relever encore jusqu’à toucher cette réalité que nous croyons mais qui nous échappe, cette Présence de Dieu qui nous tient en vie, qui nous insuffle de l’amour pour les autres et nous-mêmes, qui nous donne son Fils comme compagnon, frère et Parole. Le Reconnaître !

Ce n’est pas la méthode Coué, ni la positive attitude, l’autosuggestion. Dieu ne tombe pas sous le sens. Il ne se constate pas. Reconnaître, cela prend du temps, tout notre temps. 40 jours ou 40 ans au désert : la fréquentation du livre de l’Exode qui nous tourne vers Pâques, nous aide à décoder notre propre vie. Tout part d’un cri : « les fils d’Israël gémirent du fond de la servitude et crièrent. Leur appel monta vers Dieu du fond de la servitude. Dieu entendit leur plainte ; Dieu se souvint de son alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. Dieu vit les fils d’Israël ; Dieu se rendit compte… » (Exode 2, 23-25). Et pourtant…. « Moïse parla ainsi aux fils d’Israël, mais ils n’écoutèrent pas Moïse, tant leur dure servitude les décourageait. Le Seigneur dit à Moïse : « Va ! Parle à Pharaon… » (Exode 6, 9-11). Ils ont oublié leur propre cri.

Dieu, Lui, ne lâche pas l’affaire, Il n’oublie pas notre prière, Il ne lâche pas le fil de notre vie, Il agit à sa façon. Pendant ce temps, l’adversaire nous raconte que Dieu devrait être le Père Noël, qu’Il ne répond pas à nos prières, que les pierres devraient être du pain quand ça nous arrange, que nous n’arriverons jamais à aimer comme il faudrait, que les princes de l’église devraient être des anges, qu’il n’est plus possible de faire société ensemble, … Il abuse du « conditionnel » démobilisant : tu devrais, ils devraient, il faudrait…

Ces illusions ne sont ni à minimiser, ni à nier, ni à contourner, plutôt à traverser en reprenant pied dans la réalité : du temps, des actes, des liens. La Reconnaissance est un travail.

Du temps pour renouer le fil de la prière, nous souvenir de nos demandes et crier de nouveau jusqu’à épuiser notre demande, dire à Dieu, sans mentir, notre difficulté devant Ses Silences, jusqu’à ce que de Son Silence monte jusqu’à nous, portée par l’Esprit, l’intuition de Sa Présence mystérieuse qui nous travaille. Des actes dans des liens : s’allier et se relier pour partager, travailler avec d’autres son mode de vie en visant la sobriété, l’égalité, la justice, dénoncer et encourager, dire ce qui va et qui ne va pas sans croire avoir toujours raison, relire la Parole dans l’obéissance à l’essentiel…

Quant aux « affaires » : « Les scribes et les pharisiens siègent dans la chaire de Moïse : faites donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire, mais ne vous réglez pas sur leurs actes, car ils disent et ne font pas. » (Matthieu 23, 2-3). Je crois en l’Église que nous sommes ensemble, je n’idéalise pas ses responsables dont je suis : le sacrement de l’Ordre que nous avons reçu ne fait pas disparaître par enchantement nos limites, ni parfois notre perversité qui est à dénoncer et à combattre. Ce sacrement fait que ce que nous sommes n’étouffe pas la Parole du Christ qui, portée par la parole courageuse des victimes, finit par percer le silence étouffant de notre peur.

Grâce à Dieu, l’Eglise porte la Parole qui la met en question.

Bon Carême !
Père Dominique Doyhénart, curé